S’emparer du temps


Cette édition du Festival restera à jamais marquée par une tragédie. Leila Alaoui, notre artiste à l’honneur, a été tuée il y a six semaines dans les attentats de Ouagadougou. Tant d’humour, tant d’idées, tant d’avenir... et d’une seconde à l’autre, elle n’est plus là.

Leila prenait toujours son temps, le temps d’être présente pour les gens qu’elle aimait, celui d’aller à la rencontre de ses sujets : elle les saisissait tout doucement, lentement, avant de les offrir à notre regard. Leila ne savait pas que le temps, tragiquement, lui était compté.

 

« On n’a pas le temps ! » Le temps nous a. Il nous accapare, il nous avale. Tant de visages et de souffrances sous nos yeux, mais si peu d’empathie. Si peu d’amour. 

 

Alors notre temps, pour une fois, nous ne le compterons pas. Nous le prendrons pour regarder, passionnément, des films de cinéma. Deux décennies après l’assassinat d’Yitzhak Rabin, Amos Gitai s’empare de l’Histoire en 2h30 magistrales. Ailleurs, tout s’accélère : juste après le typhon Hayan, sur les traces du désastre, Brillante Mendoza empoigne sa caméra et construit une œuvre toute en tension. Deux rythmes, deux œuvres à la fois résolument contemporaines et parfaitement intemporelles, longuement mûries, comme tous les films sélectionnés ici. Car il faut aux cinéastes une patience et une volonté sans limite pour nous emmener, pas à pas, vers l’ailleurs et vers les autres.

 

Il existe tant de manières de dire les autres et l’ailleurs, que nous mobiliserons cette année toutes les formes artistiques : pour exprimer le drame des réfugiés, nous proposerons une performance théâtrale, une vidéo d’artiste, une œuvre participative et des photographies. Des formes brèves qui résonnent longtemps. 

 

Pendant dix jours, nous ne compterons rien, ni les heures, ni notre amour et surtout pas nos mots. Personne ne sait ce que l’avenir nous réserve, alors concentrons-nous sur le présent, à travers des débats que nous avons voulus imprévisibles et surprenants, qui nous emmènent de l’Erythrée au Mexique et de Riyad à Paris. Le meilleur des mondes n’existe pas, mais nous mettrons en lumière celles et ceux qui n’ont pas renoncé à faire de notre monde un lieu plus beau et plus juste. Nous les écouterons sincèrement et nous les questionnerons sans relâche, car pour rester vivantes, nos valeurs fondamentales doivent être constamment en mouvement et inlassablement réinventées.

 

A sa modeste échelle, l’ambition de ce festival est d’être, grâce à une formidable équipe, un temps d’expérimentation, où l’on se rencontre et l’on se transforme. Un lieu où l’on efface la peur et on l’ose le courage. Un lieu de résistance.

 

Un lieu vivant, vivant envers et contre tout. Un lieu comme tu l’aurais, je l’espère, aimé, Leila.